Revue Spécialiséé Trimestrielle

UNE LECTURE CRITIQUE DE L’ARCHITECTURE ARABE CONTEMPORAINE

Issue 27
UNE LECTURE CRITIQUE DE L’ARCHITECTURE ARABE  CONTEMPORAINE

L’auteur analyse et discute les évolutions historiques des formes architecturales dans la région arabe en mettant l’accent sur les rapports entre ces évolutions et la pensée identitaire, le but étant de dessiner le cadre épistémologique dans lequel s’inscrit la problématique de l’architecture arabe.

 

Il est clair que l’un des effets les plus importants des défis épistémologiques auxquels les sociétés arabes se trouvent confrontées consiste dans le flou qui entoure le concept d’identité culturelle moderne, en tant que tel mais aussi dans son rapport avec la vie politique, sociale et économique, celle-ci ne pouvant être séparée de la mondialisation et du rôle que joue l’Occident (l’autre) dans la construction du concept même d’identité. Les débats culturels qui ont accompagné ou suivi les grands mouvements populaires que la région arabe a connus, depuis le début de l’année 2011, et qui ont posé de diverses manières la question de l’identité culturelle et de sa nature témoignent, sans aucun doute, de l’importance de cette problématique.

On ne peut en effet comprendre que la sphère architecturale et urbanistique arabe continue aujourd’hui à produire des agglomérations sans identité, comme c’est le cas pour bien des villes arabes où l’on a vu se développer des cités « sans habitants » dont les formes et les structures urbanistiques n’ont aucun rapport avec la culture environnante. Conséquence de cette évolution, ces villes ont impitoyablement pillé les ressources naturelles pour assurer leur survie – une survie dont le coût est devenu exorbitant parce que ces villes ne sont guère adaptées à leur environnement naturel quand elles ne sont pas en conflit avec lui. L’autre conséquence est que le problème de la pollution et de l’effet de serre s’est aggravé, que les liens sociaux se sont distendus et que l’isolement culturel des habitants n’a cessé de se creuser, sans parler de l’extension des autres maux liés à la mondialisation.

Compte tenu de ces évolutions, l’auteur estime qu’il est plus que jamais nécessaire d’élaborer pour les villes arabes une stratégie urbaine sur le long terme qui soit fondée sur une véritable continuité entre, d’une part, la culture et les besoins de la société, d’autre part, les exigences de l’environnement et des données naturelles spécifiques à chaque région.

C’est ici qu’intervient le rôle de l’enseignement dans le renforcement de la prise de conscience de l’importance de la culture pour tout ce qui concerne l’environnement. Les penseurs et les savants les plus novateurs doivent sortir de leurs préoccupations livresques pour devenir des leaders d’opinion, aussi bien au niveau des institutions scolaires que dans le cadre du dialogue sociétal, à tous les niveaux. C’est ainsi seulement que les immenses efforts qu’ils déploient, chacun dans son domaine de spécialité, pourront porter leurs fruits à travers la reconstruction des approches conceptuelles sur des bases scientifiques fondées sur le respect de l’environnement, sur une perception critique et informée de la réalité et une vision positive de l’autre qui privilégie le dialogue, loin de tout suivisme et de tout affrontement. Une telle approche doit partir d’une analyse précise de la présente étape historique et de ses multiples exigences, de sorte que l’on sache exactement faire la part du possible et du nécessaire et que soient rigoureusement définis les priorités et les modes d’application. L’heure n’est plus aujourd’hui à l’auto-flagellation ni aux vains regrets ni, encore moins, à la course derrière les belles expériences menées, ici ou là dans le monde, sans que soient prises en compte les spécificités de chaque cas.

Une telle approche ne peut que contribuer à faire évoluer le discours culturel arabe et à donner naissance à de nouvelles élites dans les différents domaines de spécialité, et notamment à des architectes, des urbanistes et des planificateurs capables de résoudre les problèmes dans lesquels se débattent les villes arabes, à notre époque, en particulier ceux liés à la crise d’identité urbanistique. Ces élites devraient œuvrer à repenser l’avenir de nos villes à travers une action volontaire et consciente des enjeux qui permette de dépasser la dichotomie du moi face et de l’autre dans laquelle la pensée arabe s’est enfermée sous l’influence de l’orientalisme, et d’affronter la menace de la perte de soi à l’intérieur du vaste mouvement de la mondialisation.

Ceci pour l’avenir, mais qu’en est-il du temps présent ? Il est plus que jamais nécessaire de définir une orientation épistémologique qui permette à la pensée et à la critique architecturales arabes de s’étendre à toutes les parties qui interviennent, tant au plan matériel que conceptuel, dans la production de l’environnement urbanistique. Architectes,ingénieurs, médecins,sociologues, théologiens,planificateurs, hommespolitiques, enseignants,écrivains,penseurs,artistes, tous doivent être associés à cette refondation épistémologique. Car c’est de la convergence de toutes ces compétences, tant au niveau du suivi que de l’évaluation de l’impact sur l’environnement des constructions et des planifications urbaines, que pourra naître une culture arabe faisant interagir les différents facteurs déterminant notre environnement et notre culture vécue.

L’émergence d’une vision culturelle arabe, d’un projet culturel arabe contemporain dans toute sa dimension sociale, telle est aujourd’hui la véritable urgence. Car il n’est d’aucune utilité de construire sans développer une pensée et une culture liées à la société et sans jeter les bases d’une approche scientifique respectueuse de l’homme et de l’environnement. Autrement, nous ne pourrons surmonter les problèmes épistémologiques auxquels l’urbanisme se trouve confronté dans notre région arabe et dont l’une des manifestations essentielles est cet ensemble d’approches patriarcales  qui ont concouru à la production d’une architecture étrangère au cadre dans lequel elle s’inscrit – approches auxquelles s’ajoute en fait le problème de la vision individualiste sur laquelle se fonde l’expression de l’identité, que l’on veuille à cet égard regarder vers le passé avec la volonté de le faire revivre en dehors de toute historicité, ou que l’on s’attache à imiter l’autre sans prendre en considération, aussi bien dans l’espace que dans le temps, les spécificités culturelles de ses productions architecturales.

Edifier, en tenant compte de cet ensemble de données, une pensée architecturale et urbanistique arabe devrait contribuer à jeter les bases d’une théorie de l’architecture contemporaine dans notre région, seul moyen, selon l’auteur, de surmonter la crise liée à l’absence d’une vision sociale claire, fondée sur une perception profonde du moi arabe et capable d’en exprimer l’essence de manière à relever les défis épistémologiques qui entravent le développement et l’épanouissement de la ville arabe.

Raed Arnaout
Palestine

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