Revue Spécialiséé Trimestrielle

UNE APPROCHE DE LA VIE ET DE L’ŒUVRE DU POETE POPULAIRE SIDI LAKHDAR BEN KHALOUF

Issue 33
UNE APPROCHE DE LA VIE ET DE L’ŒUVRE  DU POETE POPULAIRE SIDI LAKHDAR BEN KHALOUF

Pr Jalloul Douagi Abdelkader

Sidi Lakhdar ben Khalouf est considéré comme l’un des grands maîtres de la poésie populaire, l’un des plus connus, également, au Maghreb arabe, et plus particulièrement en Algérie.  L’homme a laissé une œuvre monumentale dont une grande partie est encore enfouie dans les armoires, les valises, les tiroirs et les rayons des bibliothèques, sous la forme de manuscrits ou de carnets. Sans doute aussi une bonne part de cette œuvre a-t-elle été à jamais perdue, par négligence ou par ignorance. Seul un petit nombre de poésies nous sont parvenues que la mémoire populaire a pu retenir et que quelques amateurs éclairés ont conservés. Ainsi d’Hadj Mohamed Ben El Hadj El Ghouthi Bkhoucha qui a réuni 31 des ses poèmes dans un recueil qu’il a publié avec une introduction et des notes en 1958.

Le poète Sidi Lakhdar ben Khalouf fut à son époque un grand savant. Il pouvait réciter de mémoire Le Coran, il avait étudié les livres de Sîra (tradition prophétique), de Hadith, de fiqh (jurisprudence islamique), de littérature et d’histoire. Il connaissait de près les Récits des Prophètes et des Messagers ainsi que ceux des Prédécesseurs, et avait son mot à dire sur tout ce qui concerne la culture et l’histoire de l’Islam. Il fréquentait, en outre, assidûment les cercles d’invocation et de jurisprudence et les séances d’étude et d’exégèse du Coran, comme il le rappelle à plusieurs reprises dans ses vers.

Le poète a passé ses années de jeunesse à Mazoghrane, pays de l’eau, de la verdure et de la quiétude. Ce furent en réalité ses plus belles années, celles où il s’est épanoui parmi les siens.

A l’âge de quarante ans, il quitta cette vie sereine qui fut celle de ses jeunes années et s’en fut vers une existence d’ascétisme, de dévotion, de soufisme et de glorification du Prophète (la Prière et la Paix sur Lui). Il laissait derrière lui la région de Mazoghrane – le village de son enfance et de son adolescence – pour s’établir en ce lieu qui porte, aujourd’hui, son nom et qui n’est pas très éloigné du berceau de sa famille. Là, il se consacra à l’adoration et à l’invocation du Seigneur, pleurant au souvenir de ses fautes et se repentant d’avoir cédé aux plaisirs de la vie et aux tentations du monde et d’avoir écouté ce que ses penchants, ses désirs et le démon lui susurraient. Il était venu en ce lieu depuis son village, sans un sou en poche, sans le moindre bien, sa seule richesse était sa connaissance du fiqh, des sciences et de tout ce qui se rapporte à la culture religieuse, à la littérature et à l’histoire.

Son poème Ibqaou bissalama (Restez en paix) est considéré comme une brève autobiographie. Il fut probablement la dernière de ses œuvres, il y fait ses adieux à ses enfants et à sa famille, leur recommandant de prendre soin de leurs personnes et de ceux parmi lesquels ils vivent, réunissant ses enfants autour de lui afin de leur transmettre l’héritage qu’il leur laisse, soit tout ce qu’il a pu acquérir dans sa vie, pour qu’il n’y ait entre eux ni divisions ni rancunes après sa mort, que règnent l’entente et l’amitié et soit préservé l’honneur du nom.

A chaque occasion, le poète recommandait aux siens de s’entraider, de resserrer leurs liens de solidarité, de donner aux pauvres et aux indigents, mais aussi de ne pas laisser se disperser et disparaître ses poésies. Il priait aussi pour la prospérité des hommes, celle en particulier de la communauté des musulmans.

Sidi Lakhdar ben Khalouf a vécu plus de cent vingt cinq ans, ainsi que le rappellent certains de ses vers. Il a connu, au cours de cette longue existence, des événements marquants, notamment l’invasion espagnole de sa terre à laquelle il vouait un amour et une fidélité qui étaient ceux d’une âme fière de ses racines arabes et islamiques. C’est là que l’on saisit le mieux l’essence d la poésie populaire en ce qu’elle a d’authentique car est authentique celui qui s’enorgueillit de ses origines et de sa personnalité et, dès lors, se dresse contre tout ce qui porte atteinte à ce qu’il a de plus authentique : l’appartenance à la mère patrie.

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