Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE CH ABI MAROCAIN : DE L’IMAGINAIRE TEXTUEL AU RÉCIT CULTUREL La poésie en dialectal à titre d’exemple

Issue 64
LE CH ABI MAROCAIN : DE L’IMAGINAIRE TEXTUEL AU RÉCIT CULTUREL La poésie en dialectal à titre d’exemple

Dr Akh al Arab Abderrahim

Maroc

La poésie en arabe dialectal (le châabi) représente un pan du patrimoine immatériel du pays et une réserve recelant nombre de données historiques, sociales, politiques, religieuses, démographiques et civilisationnelles. Elle est en soi une identité sociale et culturelle autant qu’un comportement individuel, né d’un inconscient collectif profondément enfoui à travers lequel le poète d’expression dialectale marocaine a tenté de donner une vision personnelle de son histoire, en tant qu’individu membre d’une société, une histoire où s’entrecroisent les multiples facettes de la civilisation, du progrès, du savoir, de la socialité ou du travail productif des hommes. Cette poésie est à la fois un canal et un pont par lequel transite la culture.

Le poète marocain d’expression dialectale a conçu son monde imaginaire en vue d’y inscrire ses rêves, ses croyances, ses passions et ses ambitions. Il a insufflé une âme aux images cachées du passé et révélé les vérités des temps présents ainsi que les défis du futur. Il raconte la civilisation de la nation marocaine, en dessine l’identité, met en évidence ses archétypes, fait le récit des étapes de son processus de libération, conçoit à son profit des stratégies de représentation individuelle et collective, diffuse les images de l’être marocain, de son passé, de son identité, de son existence et met en valeur la société avec ses différentes strates, ses insuffisances, ses particularités et ses accomplissements. Il le fait au moyen de poésies fondées sur la controverse ou le dialogue (entre gardien, juge, invité…). Controverses ou débats animés peuvent se dérouler entre des hommes mais aussi entre des fleurs ou toutes sortes d’autres entités. Le poète nous fait découvrir, à travers un périple raconté en arabe dialectal, certains pays ou certains circuits touristiques, dans ces poèmes sur les voyages ou les randonnées que l’on appelle el marhoul (sur ce qui s’en va) ou el marsoul (sur le messager)… Ces poèmes peuvent, par exemple, retracer le périple d’un oiseau que le poète envoie auprès de l’un de ses amis ou en direction du tombeau du Prophète – la Paix et la Prière divines sur Lui… Il existe aussi des poèmes qui parlent du kholkhal (bracelet ornant la cheville de la femme), du collier ou de la bague, en une évocation où on voit le chantre partir à la recherche d’on ne sait quoi de perdu, parcourant en tous sens les rues de la ville. Toutes ces thématiques ont contribué à conférer à la poésie en dialectal une dimension qui dépasse le moi individuel pour un moi collectif, sociétal (le nous) ouvrant à son tour sur une dimension plus vaste que le nous, dépassant dès lors le local pour l’ensemble des régions du pays, pour la patrie et, au-delà de la patrie, pour la nation tout entière.

Toute Issues