Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA POTERIE : HISTOIRE DE L’ARGILE AU MAROC

Issue 24
LA POTERIE : HISTOIRE DE L’ARGILE AU MAROC

Cet art authentique qui est la marque de la ville d’Asfi a toujours attiré les touristes et les autres visiteurs, arabes ou autres. Asfi est une ville historique dont le renom s’étend à travers les âges, une cité qui se tient solennellement sur les flancs de l’Atlas où elle conte les récits, légendes et mythes des peuples, au long des siècles. Elle dit au monde : « Me voici, toujours vivante, malgré les histoires que l’on répand sur mon compte, malgré les atteintes et les blessures, malgré tous les changements que l’histoire autant que la géographie m’ont infligées, malgré la nature qui m’est si âpre ; me voici, vivante et joyeuse, comme je l’ai toujours été, intériorisant les récits et les inscrivant sur des feuilles d’argile et de céramique avec des doigts d’or, de sang et de glaise. »

Nombreux sont à cet égard les ouvrages et les études qui traitent de l’histoire de cet art, de la vie de certains de ses pionniers et de ses « maîtres artisans », de ses sources premières, de ses lieux d’expansion et de ses marchés locaux aussi bien que mondiaux. Car, si cet art a connu un si grand succès populaire, une telle réputation et un si vaste rayonnement à travers le monde, il n’en reste pas moins en usage, sous la forme d’ustensiles d’une grande simplicité qui ne font que renforcer sa popularité et augmenter le nombre de ses usagers, toujours fascinés par l’esthétique de ses formes en dépit de la concurrence féroce que lui imposent les objets et les matériaux en métal, en verre ou autres…

La région d’Asfi où se fabriquent depuis les temps les plus anciens la poterie et la céramique est célèbre par une particularité qui est en soi une forme de provocation, en termes de créativité : c’est l’existence de cette zone appelée Tell al Fakharine (la colline aux potiers) où artisans et maîtres artisans ont à leur disposition des fours, des aires ouvertes aux différents types de production, des échoppes, des boutiques et des salles d’exposition.

Depuis ce Tell historique se répand le parfum de l’art et de la créativité pour imprégner la terre tout entière, traversant plaines, montagnes, plateaux et déserts, excitant les sens des connaisseurs et des amoureux de l’art, par delà l’appartenance, les orientations et le parcours historique de chacun. Ici commence donc le voyage de la poterie vers les pays d’Europe et les autres régions du monde, sans qu’il y ait besoin d’une autre médiation que cette belle réputation de créativité sincère, née du patient labeur d’artistes aussi doués que déterminés. Le Tell des Fakharine où le soleil resplendit et disperse ses rayons et où les mythes primitifs se mêlent à la poésie antique nous raconte des expériences nées du génie naturel de ces hommes dont les doigts sont, en chaque geste, l’affirmation d’une sorte de consubstantialité avec l’argile. Expériences où se lit l’ardeur à la tâche et le mouvement de l’Histoire.  Expériences qui portent la quintessence des inquiétudes ontologiques et existentielles et tissent le récit des souffrances et des aspirations des hommes sous la forme la plus sobre et la plus expressive.

C’est ici que commence probablement l’aventure d’un art antique qui a assuré l’efflorescence de cette ville dont les racines plongent dans la nuit de temps et restent imprégnées des conquêtes et des hauts faits des ancêtres. Car c’est  par cette contrée que toutes les civilisations sont passées en un mouvement dont la continuité suggérerait une étrange confluence avec la glaise, l’argile, le parfum de la terre. Tell el Fakharine est en effet une fresque en céramique qui raconte au monde l’épopée de l’argile marocaine, en l’ornant de tous les détails poétiques, de toutes les somptueuses péripéties humaines – une fresque qui rayonne dans le voisinage des palmiers, des cours d’eau et des arbustes touffus.

Les études historiques et archéologiques autant que celles qui sont consacrées au patrimoine ont montré que les arts de la poterie et les métiers qui y sont liés remontent, au Maroc, aux temps les plus lointains. Les prémisses de cette activité pourraient même nous mener jusqu’aux premiers pas de l’homme dans cette partie du monde. Les musées marocains en sont la preuve où l’on a recueilli des vestiges, des morceaux de céramique que les historiens ont bien du mal à dater. Certaines études montrent, en revanche, que, venu d’Andalousie, l’art de la poterie s’est perpétué au Maroc depuis le XIIe siècle, en particulier dans la ville de Fès qui a donné refuge à d’innombrables Andalous fuyant les conflits politiques et religieux. Ces nouveaux venus ont en effet amené avec eux cet art et bien d’autres qu’ils avaient portés à la perfection. Hassan Al Wazzan (Léon l’Africain) parle dans sa Description de l’Afrique de la qualité des poteries fabriquées qui se vendaient sur le marché de Fès, au tout début du XVIe siècle, et qui étaient fabriquées avec le plus grand soin et ornées des plus belles couleurs
Pour ce qui est de la ville d’Asfi, les sources sont rares sinon inexistantes, ce qui rend difficile la datation de l’apparition de cet artisanat. Mais nous pouvons affirmer que la poterie est apparue dans cette ville depuis les temps les plus anciens. L’auteur n’en veut pour preuve que les similitudes que l’on peut observer avec les poteries façonnées à la main, de façon toute primitive, par les Phéniciens,  celles que produisaient les Amérindiens à l’époque de Christophe Colomb.


Ibrahim El Hajri
Maroc

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